mardi 9 décembre 2008

LUC FERRARI "Presque rien"


















 LUC FERRARI
"Presque rien"
Recollection GRM, 1969-2012.

Voilà un intrus qui s'immiscerait dans une réunion sans avoir la moindre invitation à s'y rendre. A des années lumières des affrontements qui secouèrent la musique contemporaine ("Détruisons l'ancien monde tonal", "la tonalité n'est pas une fatalité" et finalement "revenons au langage tonal dans ce qu'il a de plus banal") Luc Ferrari pousse la définition de la musique dans ses derniers retranchements, se demandant, l'air désabusé de celui qui n'y touche pas mais n'en pense pas moins, si ce n'est pas le magnétophone qui joue plutôt que l'homme ?
Mais l'art de Ferrari est tellement immense qu'à l'endroit où en apparence il n'y a presque rien réside les plus fortes manipulations. Comme dans ce "Presque rien n°2" (1977) où l'on assiste au déroulement de la journée d'un village de pécheurs yougoslaves et tout ça en... 12 minutes. La reconstitution est telle, les manipulations tellement insidieuses que ce n'est plus ce village qui est mis en scène mais un autre, imaginaire, né de l'esprit d'un homme composant sa symphonie pour un village seul, avec son étagement de plans, son scherzo, son allegro et autre adagio et quand ébloui par les images sonores nous "voyons" démarrer et se déplacer un camion, bruit sculpté dans une matière stéréophonique de toute beauté ou quand dans un final majestueux nous admirons les volutes polyphoniques générées par les boucles cycliques d'un ballet de cigales, on se dit que là on a touché de nos oreilles quelque chose d'unique.
Ecouter Luc Ferrari, comme d'autres avant ou après lui (John Cage, Alvin Lucier, Morton Feldman...) est une expérience unique qui remet à plat toutes les questions tournant autour de la définition de l'idiome musical et sa réponse iconoclaste, singulière doit autant aux techniques musicales concrètes, aux "Field recordings" (ces "enregistrements de terrain" étant le pré-carré des ethnomusicologues et autres chasseurs de chants d'oiseaux) qu'à la philosophie, toute de zénitude, d'entendre avec les yeux et de voir avec les oreilles. Son résultat par contre est une réponse claire à ceux qui sortent leur Technologie quand ils entendent le mot musique. Lui, avec son micro, son magnéto portable, ses bandes, ses ciseaux et son scotch, construit une cathédrale de sons édifiée au bruit dans sa plus belle acceptation. 

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