jeudi 8 novembre 2012

Tangerine Dream "Rubycon"


















Tangerine Dream
"Rubycon"
Virgin, 1975.

Sixième galette du trio allemand, ce "Rubycon" scelle le destin du groupe par un passage au "tout électronique". On pouvait encore entendre, ici ou là, dans son prédécesseur et excellent "Phaedra", les notes éparses d'instruments acoustiques ou électriques, mais dans celui-ci, quand les Fender-Rhodes, Mellotron ou cymbales sont utilisés, ils sont volontairement détériorés par les traitements électroniques, les faisant ressembler à des mouettes, des crissements, des vagues...
C'est donc volontairement un point de non retour dans sa chair et son sang même et qui plus est le disque ne comporte que deux grandes pièces qui ont été coupées pour des raisons techniques, à l'époque les deux faces étaient limitées par la durée du vinyle soit deux fois 30 minutes maximum (ce que Klaus Schulze réussira à faire). Fini les petites pièces, place aux grands développements donc.
C'est aussi à la fin de l'enregistrement de cet album (en janvier 1975 au Manor, le studio-résidence de Virgin, tout comme "Phaedra") que Peter Baumann fût viré du groupe après, semble-t-il, un échange virulent avec Edgar Froese. 
Qu'entendons-nous qui nous pousse à passer ce fameux "Rubycon" pour aller à l'assaut des cathédrales du rock ?
La première pièce débute très calmement, dans la pénombre, par des bruits flottants avec au second plan un Mellotron tissant minutieusement sa toile mélodique. On matérialise, sans peine, des oiseaux, basculants à tire d'ailes du bord abrupte d'une falaise de craie, puis captant un courant aérien, planent au dessus des flots. En dessous d'eux, les vagues de l'océan se brisent sur le récif, un climat s'installe et les rouleaux passent et se cassent telles les assauts d'une charge de cavalerie au galop. Soudain, au fur et à mesure de l'avancée de nos volatiles voyageurs, une cité se découpe au loin et, de ses mille feux, éclaire l'immense étendue bleutée. Comme un guide qui arriverait à point nommé pour nous prendre la main, la rythmique séquencée se met en branle. Les notes syncopées par le séquenceur nous font visiter la ville, ses rues et ses édifices majestueux. De larges avenues coupées par autant de ruelles, dessinent des lignes géométriques se perdant avec la ligne d'horizon, les buildings grattant le ciel comme il se doit et plus si affinité, au sol, les véhicules, animés par on ne sait quelle énergie, fourmillent d'activité. Au delà de cette cité s'étend d'immenses plaines verdoyantes, c'est là que nos fidèles volatiles peuvent enfin se reposer et reprendre des forces. Nous en profitons pour nous détendre et rassembler notre esprit et nos sens afin d'aborder en bonne constitution la deuxième pièce. Cette dernière débute à grand renforts d'ondes planantes et de chœurs qu'on croiraient tout droit échappés d'une pièce de Ligeti et l'on matérialise les immenses plaques noires de 2001 Odyssée de l'espace, inquiétante survivance d'une civilisation passée. Le morceau évolue à son rythme, sans brisure intempestive, une séquence apparaît dessinant d'improbables vent terrestres, de toutes parts viennent se greffer des plaintes de revenants, plus loin des sons irréels comme ceux, métalliques, du ressac sur une plage de galets.
Trente cinq minutes après un début qui nous semble à des années lumières de notre point de chute, nous ressortons ébahi, lavé et purifié par les complexes dégagements spirituels de cette musique, dont on se passera volontiers de chercher des ancêtres glorieux (même si on pense parfois à Debussy, Satie ou Honegger). Elle existe par elle-même, pour elle-même et surtout au service du développement de la psyché de celui qui la reçoit !


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