jeudi 18 décembre 2008

Quand la pop créait ses propres laboratoires

Qui se souvient d'un temps que les jeunes de 40 ans n'ont pas connu effectivement, un temps soigneusement mis à l'écart, compacté dans une mémoire, infime trace d'un ailleurs en passe de disparaitre, un temps donc où les musiques dites populaires n'avaient d'autres ambitions que de fournir matière aux bals champêtres ? Qui se souvient qu'en ces même temps immémoriaux, les musiques dites savantes ou expérimentales ne pouvaient, sous peine d'excommunication, se joindre à la masse grouillante des individus communs qui, parce que communément humains, ne pouvaient détenir les armes pour comprendre ce qu'ils entendaient ? Il fallut quelques hérétiques pour comprendre que ces murs infranchissables n'étaient que pures constructions mentales, des individus frondeurs qui, comme Pierre Schaeffer et Pierre Henry, reprenant la question à zéro commencèrent à échafauder une relation particulière avec leurs auditeurs, tout bonnement ils se soucièrent de la réception de leur art par ceux pour lequel il était destiné. Car la mise en perspective en art est aussi importante que sa partie constructive.


Tout ce travail de fond ne pouvait que rencontrer une génération de jeunes gens tout fraichement sortis d'universités en pleine ébullition en ces années soixantes finissantes. Une période avec ses excès certains, son nihilisme à peine masqué et ses libérations tout azimuts, l'intérêt ne portant pas sur le comment du pourquoi mais sur la libération de tout, de la liberté même, rien ne devant résister à l'énorme machine à libérer qui venait de se mettre en marche. Il convient de garder du recul et un sens critique sur ces "évènements" mais là n'est pas la question, cette force de libération remettait en jeu forcément la tradition et trouvait étrangement des points de jonction avec d'autres forces qui étaient déjà là depuis plusieurs années, les laboratoires institutionnels de création musicale comme le GRM en France, le groupe autour de la RAI en Italie, celui autour de la WDR en Allemagne ou de certaines sections de recherches des universités américaines avaient déjà depuis les années 40/50 mis en jeu l'idée même de musique ou tout au moins sa relation avec le son et sa parenté avec le monde des bruits.
Le plus souvent sans connaitre réellement ou de seconde main, les créations et les théories qui les ont précédé et ont défriché le terrain, certains groupes de musique pop se retrouvèrent sans s'en rendre réellement compte en un point où la proximité avec les musiques savantes était confondante. Avançant avec leurs visions particulières, usant de matériaux et de techniques inusités, détournant les us et coutumes, cherchant un ailleurs, ces laboratoires "malgré eux" fournirent les créations les plus déterminantes d'une pop musique encore toute jeune.
C'est l'histoire perdue de cette filiation que je vais essayer modestement de vous conter.



PREMIÈRE EXPERIENCE

Bruit blanc et messe noire


White Noise, bruit blanc, autant annoncer la couleur d'entrée de jeu, ce "groupe" est né de l'esprit torturé de David Vorhaus américain intéressé par le son, l'acoustique, les possibilités infinies des traitements et manipulations électroniques mais aussi par les musiques pop et psychédéliques en plein épanouissement en ces années 1967/68, il sera même l'acquéreur d'un synthétiseur EMS VCS3 numéroté 001. Ce projet est né aussi de sa rencontre avec deux personnalités fortes, Delia Derbyshire et Brian Hodgson, tous deux membres du BBC's Radiophonic Workshop, le studio de création musicale de la BBC créé en 1958 et qui servait non seulement pour les musiques des productions maisons mais aussi pour tout ce qui était bruitages sonores, en utilisant les techniques analogues aux musiques concrètes françaises : travail sur bande, accélération, inversion, interpolation, collage multipistes... autant dire que la rencontre fut capitale.



Et ça s'entend sur ce premier album : "An electric storm", sorti en 1969 sur le label Island, on est loin d'un hypothétique micro-label indépendant underground, comme quoi tout était encore possible à cette époque reculée. Nous sommes loin aussi des petites ritournelles pour adolescents sages, même dans les petites saynètes de la première face, rien ne semble aller de soi, les déraillements rythmiques, les changements de plan, les aller-retour par traitements électroniques entre les premiers plans et la scène arrière, les maquillages sonores multiples, les mélodies bancales, tout porte à croire que nous somme en terrain connu pour finir perdu au milieu de nulle part. Le gros morceau de ce disque se trouve être la face B, composé de deux pièces "The visitations" et la bien nommée "The black mass : an electric storm in hell". En 20 minutes nous assistons médusés à un pilonnage sonore rarement atteint par un groupe pop, "The visitations" nous introduit dans un monde de faux semblants, fait d'orgues triturés, de bruitages électroniques et de concassage de voix féminines pleureuses ou masculines presque martiales, en passant par des temps électroacoustiques à base de mille feuilles bruitistes, entre atmosphère vaporeuse et inquiétude réelle, mais tout ceci n'était qu'hors d’œuvre avant l'arrivée de la fameuse messe noire, cauchemardesque, agressive, déstabilisante, rarement un groupe pop n'avait déployé autant de violence, d'impact sonore, à faire passer les groupes de "hard-rock" naissants pour de joyeux drilles. Les sons saturés, tournoyants, voilés, sortent de toute part, tels des êtres maléfiques sortants de leurs caches, ils vont et viennent agressant les modestes passants qui se seraient égarés là croyant y trouver matière à planer. Rien, ici, n'est fait pour rester calmement et confortablement assis, même la rythmique martiale et tribale du batteur de free-jazz Paul Lytton renforce le sentiment d'insécurité, brassée par les effets elle virevolte pour s'évanouir et ressurgir plus loin défigurée par les attaques. Le travail sur la mise en scène sonore est stupéfiante et rejoint en sauvagerie le travail d'un Pierre Henry ou d'un Iannis Xenakis.
Après ce disque, passé relativement inaperçu à l'époque de sa sortie, le laboratoire White Noise, continuera de sortir des disques, sans malheureusement retrouver la hargne et l'intelligence de ce premier disque. A noter que David Vorhaus réalisera en 1974 la musique de l'unique et stupéfiant film de Saul Bass "Phase IV", musique uniquement électronique, ténébreuse et oppressante, un peu à la manière du travail que réalisera Popol Vuh avec Werner Herzog.

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