Conrad Schnitzler
"Charred machinery"
Artgallery, 1995.
A l'heure où certains labels (Captain
Trip, Bureau B) ont déjà commencé un programme de rééditions de
certaines de ces anciennes productions, il me paraît de bon ton de
revenir sur la musique de ce personnage atypique et légendaire dans
le monde en ébullition des musiques électroniques qu'était Conrad
Schnitzler.
Mais par où commencer, tant son énorme
production pourrait décourager le quidam qui, soudainement pris
d'une envie irrésistible, voudrait jeter une oreille, voire deux,
sur un disque, pris au hasard, afin d'en retirer un avis péremptoire.
Car c'est là où le bas blesse, dans notre belle modernité
vacillante, la vitesse étant devenu une valeur refuge, plus personne
ne s'arrête un moment pour faire le point, goûter le temps qui
passe ou même regarder ce qui, sous nos yeux, est parfois d'une
évidence criante. Il faut engranger un maximum d'informations, sans
même songer à en retirer quelque chose de personnel, l'impératif
catégorique s'imposant à nous de découvrir et décrypter tout ce
qui s'offre à nous, souvent sans avoir produit le moindre effort
pour ciseler des outils afin d'avoir un point de vue singulier.
Pourquoi ce «Charred machinery»
plutôt qu'un autre me direz-vous alors ? Il nous suffit de
télécharger en trois fichiers distincts l'intégrale de ses plus de
100 albums et piocher au hasard, pour, si ces pioches ne nous
plaisent pas, jeter à la poubelle l'ensemble d'une œuvre qui aura
mis près de 50 ans à être produite. Et oui nous en sommes là !
Pour l'avoir découvert lors de sa
sortie en 1995 au milieu d'autres de ses albums, je me suis aperçu, dix-sept ans plus tard,
que c'était celui-là qui repassait le plus souvent sur ma platine.
Pourquoi ? Un semblant d'explication, a posteriori, et si
explication il doit y avoir, pourrait être avancé dans le fait que
les 64 minutes de ce disque se découpent en trois plages d'égales
longueurs dépassant toutes les vingt minutes. Explication un peu courte
j'en conviens mais qui a son importance pour celui qui reste sensible
aux idées de construction, de développement d'atmosphère, de
complexification des variations et autres babioles de ce genre,
dépassées aujourd'hui mais qui étaient prégnantes à l'époque de
l'enregistrement de ces pièces (elles sont issues de cassettes
auto-produites sorties dans les années 70). Autre point qui saute à
la figure quand les premiers sons arrivent aux oreilles de l'auditeur
c'est la puissance et l'atmosphère pas foncièrement propre et
détendue dirons-nous. Car s'il est un point commun à nombre de ses
productions c'est son souci personnel de produire une musique
impactueuse et qui ne laisse pas de marbre.
Ainsi la première des trois pièces,
la bien-nommée «Symphonia mecanica», commence par une
séquence, jouant sur l'apparition/évanouissement, baignée dans la
réverbération, tandis que ça et là apparaissent moult
événements électroniques non-identifiés, se superposant, se
contrariant ou s'harmonisant. Au fur et à mesure de la progression
toutes ces sources se voient salies par on ne sait quels agressions,
comme ces belles constructions métalliques humaines qui, laissées à
l'abandon, se retrouvent quelques années plus tard transformées
radicalement et dont les surfaces, sous l'action de l'oxydation, se
sont mises à produire une couleur et une texture granuleuse qui en
font de véritables œuvres d'art naturelles. C'est cela que vous
trouverez dans ce disque, parfois elles exprimeront des impressions
très «terriennes» à d'autres moment il vous semblera
reconnaître un satellite ou une sonde spatiale laissés à leur
triste sort d'errance cosmique (la «kosmisch musik»
était à l'honneur à l'époque). Nous sommes très proche de
ces musiques qui se nommeront plus tard «industrielles»,
la sophistication et l'ampleur du son en plus, le monsieur jouant sur
du matériel analogique pur sucre.
Voilà, rajouter que les thématiques
abordées ou les interprétations c'est selon, me touchent plus
particulièrement sur ce disque là pourrait être une piste de
réflexion supplémentaire, ayant toujours été attiré par les objets laissés à l'abandon par la civilisation ou pire les endroits
hostiles où l'homme, contraintes oblige, n'a pu mettre ses pieds et
le reste que très modérément et vous avez au final un bon
cocktail d'écoute au casque plongé dans le noir avec les frissons
qui vont bien.
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